- L’annonce par Trump de l’abandon des exercices militaires a surpris à Tokyo, Séoul et Washington.
- Le gouvernement japonais est très sceptique sur la fiabilité de Kim et de ses promesses.
- Après avoir prôné avec Trump la «pression maximale» contre Pyongyang, le Premier ministre Shinzo Abe est cependant obligé de s’adapter.
De notre correspondant à Tokyo,
En pleine euphorie post-sommet, une déclaration de Donald Trump a provoqué de nombreux haussements de sourcils à Séoul, à Tokyo et même à Washington. A la sortie de sa rencontre avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un mardi, le président américain a annoncé que les Etats-Unis allaient cesser leurs manœuvres militaires conjointes avec la Corée du Sud.
Cette concession sur une revendication de longue date de Pyongyang, pour qui ces entraînements sont une préparation à l’invasion militaire de son sol, a profondément surpris les voisins de l’Etat ermite. La Corée du Sud et le Japon considèrent en effet que la présence militaire américaine joue un « rôle vital dans la sécurité de l’Asie de l’Est », a rappelé mercredi le ministre nippon de la Défense Itsunori Onodera. Séoul a souligné de son côté qu’elle n’avait pas été mise au courant de cette annonce, pas plus que le commandement militaire américain en Corée du Sud.
La sortie de Trump « va au-delà de tout ce sur quoi s’accordent les experts », estime Adam Mount, de la Federation of American Scientists. Le Pentagone lui-même a semblé pris de court, avant que le ministre américain de la Défense Jim Mattis finisse par assurer qu’il n’avait « pas été surpris » et qu’il « avait été consulté ».
« Le Japon attend que la camaraderie et l’euphorie s’effilochent »
Vingt-quatre heures après le « sommet historique », beaucoup doutent cependant du sérieux de cet engagement. « Trump dit ou tweete des choses comme ça, de but en blanc, estime Jeff Kingston, directeur des études sur l’Asie à l’université Temple de Tokyo, interrogé par 20 Minutes. Mais un porte-parole finira, comme c’est souvent le cas avec ses commentaires les plus extrêmes, par « clarifier » ses propos, c’est-à-dire par revenir sur ce qui a été dit. »
Si cet engagement sans contrepartie de Donald Trump se confirmait, il serait de nature à provoquer la panique au Japon, aux premières loges lors des tirs de missiles nord-coréens de l’an dernier, dont certains ont survolé son territoire. « Le gouvernement japonais est très sceptique sur la fiabilité de Kim et de ses promesses, rappelle le chercheur. [Le Premier ministre nippon Shinzo] Abe était ravi quand Trump a annulé le sommet, et espérait qu’il ne déboucherait sur rien. Il attend maintenant que la camaraderie et l’euphorie affichées à Singapour s’effilochent, quand il apparaîtra que Kim ne respectera pas ses promesses et que Trump s’apercevra qu’il s’est engagé sans garanties en retour. »
« Un cauchemar pour les Japonais »
Mardi soir, Shinzo Abe a déclaré son soutien à « ce premier pas vers une résolution d’ensemble des questions concernant la Corée du Nord », remerciant Donald Trump d’avoir évoqué le sort des Japonais enlevés par le régime de Pyongyang. La question de ces hommes, femmes, et même une adolescente de 13 ans, kidnappés par les services secrets nord-coréens dans les années 1970 et 1980 pour former des espions à la langue et la culture japonaises, est cruciale pour le gouvernement nippon, qui en a fait un préalable à toute normalisation des relations avec la Corée du Nord.
Jusque récemment, Tokyo et Washington étaient d’ailleurs sur la même longueur d’onde pour appliquer une « pression maximale » sur le régime de Kim Jong-un, mais Donald Trump a décidé d’abandonner le terme avant de rencontrer le dirigeant nord-coréen. « Abe a été surpris, comme la quasi-totalité des dirigeants du monde, par les zigzags de Trump », note Jeff Kingston. Selon le chercheur, gérer cet allié important et ses sorties inattendues quasi quotidiennes est « un cauchemar pour les Japonais, méticuleux sur les détails, le consensus et la négociation ».
Une rencontre entre Shinzo Abe et Kim Jong-un sur la table
Face à cette nouvelle donne, le gouvernement nippon doit adapter son approche. S’il continuera à insister sur la résolution du triple problème des enlevés, du nucléaire et des missiles, « cela ne veut pas dire que nous allons refuser toute discussion avant que la question des enlevés soit résolue », confie un responsable du ministère des Affaires étrangères au Japan Times.
Une attitude vue comme nécessaire pour retrouver une place à la table des négociations régionales. « Jusqu’à maintenant, la diplomatie inepte d’Abe a marginalisé le Japon, alors que Tokyo a traditionnellement joué un rôle important dans la politique régionale en Asie de l’Est, estime Jeff Kingston. Beaucoup de gens pensent qu’Abe a été trop obsédé par la question des Japonais enlevés, et bien que les droits de l’homme et la souffrance de ces familles soit un sujet important, il est largement éclipsé par la menace nucléaire, ce qui a fini par être contre-productif alors que tous les autres acteurs mettent l’accent sur la dénucléarisation. »
Une rencontre entre Shinzo Abe et Kim Jong-un, auxquels les deux dirigeants se sont dit ouverts, serait en cours d’organisation. « Le sommet va sûrement se tenir, mais les perspectives de résoudre la question des enlevés ne sont pas très bonnes, juge Jeff Kingston. Je pense que la Corée du Nord a l’impression d’avoir déjà fait tout ce qu’elle pouvait et qu’elle ne peut guère faire mieux pour satisfaire le Japon. »