Produit essentiel dans l’alimentation des Tunisiens, le pain a subitement disparu des boulangeries dans de nombreuses régions du pays, du nord au sud, suscitant exaspération, étonnement et colère.
Au lieu de chercher à résoudre ce problème, que les professionnels du secteur ont prévu depuis quelques semaines, les pouvoirs n’ont pas trouvé mieux que de diffuser un discours accusateur, pointant du doigt des parties qui cherchent à semer la zizanie et à inventer des crises.
D’ailleurs, le 22 mai, en recevant la ministre du commerce, le président tunisien Kaïs Saïed a imputé « cette situation aux tentatives menées par certains pour exaspérer la situation et inventer des crises » et jugeant « inadmissible la pénurie de pain dans un gouvernorat, alors qu’il est disponible dans d’autres régions avoisinantes ».
Le Président Saïed a appelé toutes les institutions de l’Etat à assumer leurs responsabilités pour mettre fin à cette situation et à ces pratiques.
Le ministère du commerce a cherché plutôt à rassurer. La ministre du Commerce, Khaltoum Ben Rjeb, a appelé les citoyens à ne pas céder à la panique d’autant plus que la matière première (farine notamment), dit-elle, est disponible.
De leur côté, les services du ministère du Commerce reconnaissent qu’il y’à un problème s’agissant des produits subventionnés mais qui est en voie d’être résolu.
Ledit département a expliqué que les importations de blé tendre, destiné à la confection du pain, ont été revues à la hausse, appelant les citoyens à adopter un comportement rationnel et à éviter leur surconsommation.
Selon les observateurs, le pays connaît, depuis plus d’un an, des pénuries à répétition qui touchent de nombreux produits de base.
En effet, il n’y a pas que le pain qui manque ces derniers jours dans plusieurs régions du pays. En plus de la farine et de la semoule, d’autres produits sont quasiment absents des étalages à l’instar du sucre, du café, du thé, du riz et même près de 300 médicaments sont signalés en rupture de stock dans les officines.
Crise des finances publiques oblige, les pénuries s’installent dans la durée nonobstant les messages tantôt rassurants, tantôt dénonciateurs que les autorités tentent de diffuser, mais qui occultent leur incapacité notoire à juguler ce problème épineux qui ponctue le quotidien des Tunisiens.
Courant le risque de défaut de paiement, au regard des rebondissements qui ont accompagné les négociations menées par la Tunisie avec le Fonds Monétaire International, le pays est obligé de payer ses fournisseurs rubis sur ongle avant le déchargement de tout navire.
Depuis le début du mois mai, les structures professionnelles n’ont pas cessé de tirer la sonnette d’alarme.
Aussi bien le groupement professionnel des boulangeries modernes que la chambre relevant de l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (organisation patronale) ont adressé une mise en garde aux autorités, annonçant une pénurie certaine de pain. En cause, le non-respect par le ministère du commerce de ses engagements envers les professionnels.
L’autre source d’inquiétude est en relation avec la pénurie de farine et de semoule depuis plus de trois mois dans tout le pays, laquelle résulte du retard accusé au niveau de l’importation de quantités de blé.
Il va sans dire que cette situation a engendré la fermeture de plusieurs boulangeries.
Une note publiée le 21 mai par l’organisation non gouvernementale « ALERT » met l’accent sur l’exacerbation de cette crise par les difficultés de financement de l’importation de céréales.
Elle indique que le phénomène de pénurie du pain, qui touche depuis quelques jours pratiquement tous les gouvernorats du pays dans des proportions différentes, est dû à la forte diminution des quantités de blé dur distribuées par l’Office des céréales.
D’ailleurs, au cours du mois d’avril, la quantité de blé dur distribuée par l’Office a été réduite de 30%, et jusqu’au 20 mai 2023, seulement 15% de la consommation mensuelle a été distribuée.
Il est prévu, selon l’ONG, que le mois de mai connaîtra la distribution de seulement 500 mille quintaux, ce qui équivaut à une diminution de 50%.
Elle précise aussi que l’arrivée irrégulière des navires de blé dur aux ports de Sfax et Rades, génère une disparité dans les quantités distribuées entre les régions.
De ce fait, cette situation perturbée d’approvisionnement de blé dur entraîne la pénurie de semoule, ce qui exerce une pression sur la disponibilité de la farine et en conséquence celle du pain.
Il est à noter que la sécheresse qui sévit au pays depuis des années devrait accroître les besoins du pays en importations de céréales. Il est prévu que les importations de blé représenteront l’année prochaine plus de 90% de la consommation intérieure estimée à 3,4 millions de tonnes par an.
Face à ce bourbier, les observateurs les plus avertis affichent une attitude pessimiste. Cela est d’autant plus vrai que depuis plus d’un an et demi, la Tunisie négocie, sans succès, avec le FMI pour un plan de sauvetage de 1,9 milliard de dollars, sous conditions.
Mais il y a un double problème : l’Etat rechigne tout d’abord à mettre en œuvre des réformes demandées par le FMI. Le deuxième a trait au décalage entre le discours affirmant que la Tunisie n’a pas à recevoir de diktat d’institutions étrangères internationales et le discours technocratique du gouvernement.
Entre-temps, le pays trouve toutes les peines du monde pour boucler son budget pour l’année 2023 et a dû, encore une fois, recourir à 12 banques locales pour mobiliser en devises l’équivalent de 400 millions de Dinars (1 euro égal 3,4 dinars).
La loi de finances 2023 prévoit la mobilisation des ressources d’emprunt extérieur et intérieur estimées respectivement à 14,8 milliards de dinars et 9,5 milliards de dinars pour servir, essentiellement, à financer le déficit budgétaire (près de 7,5 milliards de dinars), et rembourser le principal de la dette extérieure (9,1 milliards de dinars) et intérieure (6,6 milliards de dinars).
Avec MAP