Quand des mots renaissent au théâtre. Tram 83, le premier roman de Fiston Mwanza Mujila, multi-primé et déjà traduit dans une demi-douzaine de langues, vient d’être créé sur scène au Festival des francophonies en Limousin. L’auteur congolais a confié son histoire à la metteure en scène Julie Kretzschmar pour en faire une histoire captivante rythmée par des mots, des danses et des musiques de cette Ville-Pays imaginée par Mujila. Un hommage à la démesure de sa ville natale, la capitale minière du Congo, Lubumbashi, transformé en conte universel.
« Au commencement était la pierre. » Des lettres blanches sur fond rouge renvoient à la source de toutes les richesses, la mine de l’Espérance. Et la nuit, les creuseurs en manque d’amour et les maîtres des manœuvres malhonnêtes, mais aussi les étudiants et les bohémiens du quartier, se retrouvent au bar Tram 83, au cœur de la Ville-Pays. Est-ce que cela fait peur de mettre en scène une Ville-Pays ?
La Ville-Pays, une langue mise en scène
« Avant de mettre en scène une Ville-Pays, je mets en scène une langue, avance Julie Kretzschmar. Cette Ville-Pays n’existe qu’avec des mots, la poésie, une pensée, du geste littéraire. Et j’ai assez vite compris que c’était, en partie, une ville de l’ordre de l’intime pour Fiston, sa ville natale, Lubumbashi. Mais c’est aussi une ville imaginaire. Et cela ne me fait pas peur de plonger dans l’imaginaire. »
Pour faire naître cet univers, Kretzschmar a simplement mis sur scène un mur en tôle ondulée. C’est tout. Rien d’autre. Pour imposer la force de l’unicité temporelle et géographique du théâtre. C’est de là qu’on va évoquer les différents endroits du roman. Un long mur presque aussi panoramique et cinématographique comme le roman. Il sert à la fois comme ligne de démarcation, écran de projection, chaussetrappe des magouilleurs et bar du beau monde et des prostituées. Et avec la merveilleuse figure d’une diva réduite à faire du bruitage, Kretzschmar a même réussi à garder une certaine nostalgie du roman.
« Oui, je reconnais mes personnages dans cette adaptation de Tram 83 »
Le Tram 83, ce maquis africain, est le rendez-vous incontournable dans la Ville-Pays dont on découvre très vite son côté succursale de rêves brisés. Fiston Mwanza Mujila a-t-il reconnu sur scène son texte, ses mots, sa Ville-Pays dans cette mise en scène très colorée et voluptueuse de Julie Kretzschmar ? « Il y a une certaine prise de liberté et prise de risques de la part de Julie,remarque l’auteur congolais, avant d’ajouter : Ce qui m’a plu, c’est cette ambiguïté entre d’une part de s’attacher au corps du texte et d’autre part cette liberté, poésie et extravagance. Oui, je reconnais mon texte et mes personnages dans cette adaptation. »
L’histoire raconte le destin de deux hommes : Lucien est en cavale pour échapper à la police politique, mais il a gardé l’espoir que le geste littéraire a encore de la valeur dans un monde cassé. En revanche, Requiem a échangé ses illusions contre le confort et les profits en tant que profiteurs cyniques. Bien qu’ancré dans la réalité d’une Afrique fantasmée, il s’agit de personnages universels : « Cette histoire n’est pas propre au Congo. C’est la question de la littérature : un petit geste souterrain méprisé peut-il encore avoir une place ? Requiem est un personnage qui annonce le monde dans lequel on est en train de basculer. C’est quelqu’un qui était à l’université, qui était brillant, et qui a basculé dans le monde de l’argent qui domine le monde. Requiem dit lui-même qu’il a tout perdu. »
« Les Congolais peuvent s’y reconnaître, mais aussi tout être humain »
L’auteur Fiston Mwanzea Mujila souligne également l’université de son roman : « Le Tram 83pourrait être aussi considéré comme un roman autrichien ou allemand. Je l’ai écrit quand je vivais en Allemagne et en Autriche. Je ne crois pas que ce soit seulement un roman congolais ou africain. C’est un roman tout court. C’est un roman qui interroge l’homme, l’humanité. Et à travers ces personnages, non seulement les Congolais peuvent se reconnaître, mais tout être humain. »
Qu’est-ce qui se passe dans la tête d’un auteur quand les mots jadis difficilement couchés sur papier s’envolent soudainement pour renaître dans les bouches des comédiens ? Ou quand l’univers de la Ville-Pays laborieusement construit sur des pages et des pages devient tout d’un coup une réalité incarnée par des humains ? « À ce moment, j’ai le sentiment que le texte arrive à son final, à sa célébration. La célébration du texte passe par sa lecture, par sa mise en scène, par son adaptation. »
« C’est impossible de porter cette langue sans le corps »
Sur scène, la musique et la danse – de la conga en passant par le topolo et le merenge jusqu’au coupé-décalé – jouent un rôle primordial. Ils racontent l’histoire de la musique au Congo, confie Julie Kretzschmar : « La musique prend en charge l’humour du livre. » Et les mouvements des corps traversent les histoires musicales : « C’est impossible de porter cette langue sans le corps qui est emporté par la langue. »
Une mise en scène très rythmée, sans perturber l’auteur de la pièce qui y voit plutôt une ressemblance avec son concept d’un pont entre la langue et le corps : « Moi, j’avais envie de ressortir le corps par la langue, d’exposer le corps par la langue. Ce sont des personnages qui sont bavards, qui ont à dire et à cracher le monde, à expurger les démons en eux. Mais Tram 83 est un essai de variation. Le thème de la variation est beaucoup utilisé dans le domaine musical, particulièrement dans le jazz. Tram 83 est une variation sur l’existence humaine, une comédie humaine. J’essaie de jouer avec l’existence, le monde, la vie, une réalité, la réalité de la mine. »
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► Tram 83, création théâtrale du roman de Fiston Mwanza Mujila au Festival des francophonies en Limousin. Mise en scène : Julie Kretzschmar. Pour connaître les dates de la tournée, cliquez ici
Avec RFI
► Le programme du 34e Festival des francophonies en Limousin, à Limoges, jusqu’au 30 septembre 2017