De jeunes filles, parfois des mineures, qui viennent du Nigéria se prostituent dans les rues de Bruxelles pour parfois moins de cinq euros. Le phénomène n’est pas nouveau, mais ce qui est certain, c’est qu’il prend de l’ampleur. La Police fédérale évoquait ces derniers jours des centaines de filles victimes de cette traite des êtres humains, et des conditions d’exploitation dignes du Moyen-Age avec des passes de quelques euros à peine.
Dans le quartier de la gare du Nord, ces jeunes filles sont visibles. « On le sait, ça se voit, mais c’est surtout la nuit, parce que la journée ce sont d’abord les titulaires du bail qui travaillent, constate Marie qui travaille comme prostituée à Saint-Josse depuis une vingtaine d’années. Alors la nuit, quand vous passez, ce sont des très jeunes filles en vitrine. Je ne peux pas dire moins de 18 ans, je ne sais pas mais en tant que femme je vois que ce sont des jeunes filles ».
Des jeunes filles de 11, 12, 13 ou 14 ans
Ces réseaux prennent racine au Nigéria. Les filles sont recrutées dans les campagnes puis traversent la Méditerranée et arrivent en Italie. Ces dernières années, l’OIM (Organisation des Nations Unies chargée des migrations) a vu le nombre de ces victimes potentielles d’exploitation sexuelle exploser.
Elles sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus jeunes aussi : certaines ont parfois 12-13 ans. « On avait déjà constaté des augmentations de mineures nigérianes en Italie et en France jusqu’à l’année passée, explique Katja Fournier de la Plateforme Mineurs en exil. Ce n’est donc pas étonnant que cela commence à augmenter ici en Belgique même si c’était déjà un phénomène qui existait. Maintenant, on constate une augmentation des jeunes filles de 11, 12, 13 ou 14 ans ».
Certaines échouent à Bruxelles, mais aussi en Flandre (à Anvers, par exemple). Elles sont exploitées, c’est ce qu’a démontré l’opération d’envergure menée l’année dernière à Saint-Josse et à Schaerbeek. Un réseau de traite des êtres humains a été démantelé. Dans la ligne de mire, une « mama » nigériane : une ancienne prostituée devenue proxénète. Ce sont elles qui tirent souvent les ficelles du réseau et qui imposent des conditions extrêmement difficiles aux jeunes filles, avec des passes d’une dizaine d’euros.
« Elles doivent travailler à la chaîne, explique Sarah De Hovre, directrice de Pag-Asa, un centre qui accueille ces victimes de traite des êtres humains. C’est client après client parce qu’elles ont des dettes à rembourser : à peu près 20.000 euros (si pas plus) pour le voyage qu’elles ont dû faire du Nigéria jusqu’ici. Souvent, ce sont leurs familles qui ont contracté ces dettes pour pouvoir payer ce voyage. Elles ont donc envie de rembourser sinon elles mettent en péril leurs familles. C’est donc très difficile ».
Des réseaux difficiles à démanteler
Et il se dit que cette peur est aussi alimentée par des rites vaudou. Cela se passe avant leurs départs, les filles participent à une cérémonie vaudou : le Juju (djoudjou). Et elles sont persuadées que si elles ne remboursent pas cette dette, la malédiction s’abattra sur elle, sur leur famille. Alors, quand des réseaux sont démantelés, comme l’année dernière à Saint-Josse, ou en 2016 à Anvers, la police se retrouve face à des jeunes filles qui parfois, se murent dans le silence. Soit parce qu’elles ont peur, soit parce qu’elles n’ont pas d’informations. Ça complique le travail des associations qui cherchent à les aider.
« Pour être reconnues victimes de traite des êtres humains, on demande aux jeunes filles de couper tout lien avec le milieu et surtout de donner tous les éléments nécessaires à la justice et la police pour faire leur travail en attaquant ces réseaux, raconte Katja Fournier. C’est bien entendu légitime, mais souvent ces jeunes filles n’ont peut-être pas l’information nécessaire pour faire tomber les têtes. S’il n’y a pas assez d’éléments ou s’il y a un vice de procédure, ces jeunes filles n’auront pas droit à un titre de séjour. Elles se retrouveront donc de nouveau sans papiers et donc probablement de nouveau dans la prostitution. Ce n’est donc pas du tout sécurisant ».
La Plateforme plaide d’ailleurs pour que les choses changent, que l’on sécurise ces jeunes filles en leur donnant d’abord un statut de victime, et qu’elles collaborent ensuite avec la police. Et puis du côté de Pag-Asa, on s’interroge aussi sur les moyens de la police pour lutter contre la traite des êtres humains. Il se confirme que la priorité est mise plutôt sur les trafics de passeurs de migrants au détriment d’enquêtes sur la traite des êtres humains.
RTBF