Faim, promiscuité, insuffisance de l’hygiène : des facteurs majeurs à la base des cas de décès dans  la prison urbaine de Butembo au vu et au su des autorités

En RDC, au moins 26 détenus sont décédés entre janvier et août 2023 dans la prison centrale de la ville de Butembo (Nord-Kivu) dénommée « Kakwangura ». C’est l’ONGDH Réseau pour le droit de l’homme (REDHO) qui livre ces chiffres : résultats de leurs descentes de monitoring. D’après son coordinateur, plusieurs facteurs expliquent ce fléau. Maître Muhindo Wasivingwa évoque par exemple le surpeuplement de la prison, la carence alimentaire, l’insuffisance des médicaments. Au sujet de la pléthore, cette maison carcérale compte à ce jour plus de 800 prisonniers et prévenus, pourtant construite pour accueillir tout au plus 250 individus. Ce qui occasionne des cas de maladies de tout genre, déplore Maître Muhindo Wasivingwa. Découvrez l’intégralité de l’entretien.

Maître Muhindo Wasivingwa, coordonnateur du REDHO
Maître Muhindo Wasivingwa, coordonnateur du REDHO, Réseau pour le droit de l’homme

Journaldesnations.net : Quelle est la situation actuelle au sein de la prison centrale de Butembo ?

Maître Wasivingwa : en fait, la situation des détenus et prisonniers n’est pas du tout bonne. D’abord, c’est un bâtiment qui a une capacité d’au moins 210 détenus, mais ils sont à 840 le quadruple de ceux qui pouvaient être en prison. C’est vraiment un problème le surpeuplement de la prison.  Un grand problème puisque les gens n’ont pas la possibilité de se mouvoir de fois, on manque même une place pour s’assoir. L’environnement là, c’est parmi les facteurs qui favorisent les maladies, mais aussi ça entraîne la mort de plusieurs détenus. Il y a aussi le deuxième problème, c’est l’insuffisance de l’alimentation au sein de la prison. Il est vrai que chaque trimestre, l’état envoie une petite enveloppe pour nourrir les détenus, malheureusement cette enveloppe peut être insignifiante, et de fois elle arrive en retard. C’est une enveloppe en faveur de 200 à 210 détenus, mais ils sont plus de 800. Je vous informe même qu’il y a une centaine de détenus transférés à la prison de Beni par faute de place à Butembo.  

Au sujet de la prise en charge médicale, comment la question est gérée ?

Il y avait aussi un problème des soins médicaux, nous disons grandement merci à CICR qui approvisionne la pharmacie et le dispensaire de la prison. Si CICR n’était pas là, peut-être tous les détenus seraient décédés, puisque le CICR est la seule institution qui approvisionne la prison en médicaments.  L’apport de l’état est très insignifiant à part le CICR, et des personnes de bonne volonté.  Aussi, l’insalubrité expose le personnel de la prison, les détenus et les voisins à des maladies. Maintes fois, le fond septique de cette prison déborde, et les excréments écoulent au vu des autorités. C’est aussi une question très préoccupante.

Lorsque les détenus sont transférés à Beni par exemple, comment se fait le suivi de leurs dossiers ?

Oui, c’est l’auditorat qui signe leur transfert. Malheureusement, les dossiers restent à Butembo. C’est aussi un problème de droit.

Qu’est-ce qui doit être fait dans l’urgence afin de sauver les vies des personnes incarcérés là-bas ?

Alors, pour résoudre la question-là, il faudrait d’abord construire une prison moderne qui a une grande capacité d’accueil. Il faut savoir que cette maison carcérale garde les détenus de Lubero, Butembo, Beni ville et territoire, d’ailleurs je vous informe que l’année passée avec l’arrivée du M23, tous les détenus qui étaient à Rutshuru ont été référés ici.  Le besoin de construire une autre prison surtout moderne demeure une urgence si l’état pouvait s’y atteler ça serait une bonne chose. Mais aussi l’augmentation de l’enveloppe destinée pour la restauration.  La petite somme qu’on envoie peut nourrir les détenus de 15 à 20 jours, alors que la somme est débloquée pour couvrir trois mois. Si certaines personnes de bonne volonté et surtout les religieux ne passent pas régulièrement on assisterait au pire, pourtant l’état a cette obligation de les nourrir. Imaginez, nous avons plus de 194 détenus mal nourris, à part des malades. Et ce qui nous a étonné, sur 840 détenus c’est moins de 10% qui sont déjà condamnés. On dirait qu’il y a 70 détenus condamnés mais tous les autres bénéficient encore de la présomption d’innocence c’est aussi une question préoccupante.

Dans quel état se trouve également les cellules pour femmes ?

Je vous informe que ça fait une année que la cellule de femmes a été incendiée par l’ADF. Il faut juste moins de 5000 dollars américains pour leur réhabilitation. Mais, jusque-là, rien n’a été fait. Je pense qu’on peut voir comment mettre un terme à ce calvaire, les femmes souffrent dans des cachots.  Il faut avoir un chargé des questions de prisons au pays, ça pourrait peut-être résoudre ces genres de problème.

Là, vous interpellez les instances judiciaires ?

Oui, il y a quelques problèmes majeurs d’abord le surpeuplement de cette maison de correction, il y a la sous-alimentation mais aussi il y a de fois la lenteur dans le traitement des dossiers qui est une réalité.  Par rapport à cette question, nous dirons qu’au niveau de la justice au niveau de l’auditorat, nous sommes pendant la période de l’état de siège où la majorité des dossiers sont traités par les instances judiciaires militaires, Alors, le tribunal militaire n’a qu’un seul juge, maintenant de fois il est débordé. Au niveau de l’auditorat oui, il y a deux magistrats, peut-être quelques inspecteurs mais c’est au niveau du tribunal que les choses évoluent un peu lentement comme il est seul. Il essaie de se démener malgré tout.  Il faudrait qu’à ce point-là, la haute hiérarchie du secteur puisse augmenter l’effectif des magistrats dans les instances judiciaires militaires comme ce sont eux qui traitent plusieurs infractions pendant l’état de siège.

Maître Muhindo Wasivinywa, merci !

Propos recueillis par Djiress Baloki/Journaldesnations/Nord-Kivu