Ce drame a provoqué un tollé international. Mais, les Etats-Unis ont empêché l’adoption par le Conseil de sécurité d’une condamnation unanime. Au moins 44 personnes ont été tuées et une centaine blessées, dans la soirée du mardi 2 juillet à Tadjourah, banlieue située à l’est de Tripoli, lors d’un raid aérien lancé contre un centre de détention de migrants, selon différentes sources officielles. Un drame qui a provoqué un tollé international et des appels à une enquête indépendante.
La frappe menée mardi tard à Tadjourah a été attribuée par le gouvernement d’union nationale (GNA), installé à Tripoli, aux forces rivales de Khalifa Haftar, engagées dans une offensive pour s’emparer de la capitale d’un pays plongé dans le chaos depuis 2011. Mais le porte-parole des forces pro-Haftar, Ahmad Al-Mesmari, a démenti toute implication dans l’attaque, accusant en retour le GNA de « fomenter un complot » pour leur faire endosser la responsabilité du carnage.
Le centre de détention abritait environ 600 migrants, en majorité érythréens et soudanais, et deux de ses cinq hangars ont été touchés, selon le responsable du centre, Noureddine Al-Grifi. Quelque 120 migrants se trouvaient dans le hangar no 3, qui a été touché de plein fouet.
Réunion d’urgence de l’ONU
La communauté internationale s’est émue de ce drame. La France a « condamné » l’attaque et le ministre italien des affaires étrangères, Enzo Moavero, a fait part de sa « consternation ».
Les Etats-Unis ont vivement dénoncé ce bombardement « abject ». « Ces pertes tragiques et inutiles, qui ont frappé l’une des populations les plus vulnérables, soulignent le besoin urgent pour toutes les parties libyennes de faire baisser d’intensité les combats à Tripoli et de revenir à un processus politique », a dit la porte-parole du département d’Etat, Morgan Ortagus.
Pour l’émissaire des Nations unies (ONU) en Libye, Ghassan Salamé, « cet attentat pourrait clairement constituer un crime de guerre, frappant des innocents (…) contraints d’échouer dans cet abri par des conditions de vie épouvantables ». Le patron de l’ONU, Antonio Guterres, a demandé une « enquête indépendante » sur l’attaque contre le centre et réitéré son appel à un « cessez-le-feu immédiat en Libye ». « L’ONU avait fourni la localisation exacte du centre de détention aux parties » en conflit afin d’éviter qu’il ne soit pris pour cible, a expliqué le porte-parole de M. Guterres. Ce drame « souligne l’urgence de fournir des abris sûrs à tous les réfugiés et migrants jusqu’à ce que leurs demandes d’asile soient satisfaites ou qu’ils soient rapatriés en sécurité » dans leur pays d’origine.
Une réunion d’urgence a été convoquée, mercredi, à New York, au Conseil de sécurité de l’ONU. Mais les Etats-Unis ont empêché l’adoption d’une condamnation unanime sur cette attaque meurtrière, ont rapporté des diplomates. Aucune explication n’a pu être obtenue dans l’immédiat auprès de la mission américaine sur les raisons du blocage de ce projet de texte proposé par le Royaume-Uni, qui appelait aussi à un cessez-le-feu et au retour à un processus politique.
Article réservé à nos abonnés Lire aussi En Libye, la bataille de Tripoli tourne en défaveur du maréchal Haftar
Ce raid survient alors que l’Armée nationale libyenne (ANL) de Haftar, qui mène depuis début avril une offensive contre le GAN de Tripoli, avait annoncé l’imminence de nouvelles attaques aériennes sur des cibles militaires dans la capitale libyenne. En trois mois, la « bataille de Tripoli », qui oppose les deux camps qui se disputent le pouvoir en Libye, a fait environ 700 morts et 4 000 blessés ainsi que près de 100 000 déplacés.
Le raid de Tadjourah illustre la situation dramatique des ressortissants étrangers à Tripoli, pour l’essentiel des migrants et des réfugiés originaires d’Afrique subsaharienne et d’Asie, pris au piège des combats. Les centres de détention officiels, rattachés au département de lutte contre la migration illégale (le DCIM, son acronyme anglais), comptent environ 3 400 migrants dans la région de Tripoli. Le nombre réel de migrants détenus est toutefois probablement plus élevé si l’on prend en compte les « prisons sauvages » qui sont gérées par des milices.
Péril humanitaire croissant
Selon l’Organisation internationale pour les migrations, environ 660 000 migrants résident en Libye. Certains sont venus y travailler – l’économie du pays continue de fournir des opportunités de travail en dépit du chaos ambiant –, tandis que d’autres ne souhaitent qu’y transiter sur la route de l’Europe.
Les premières images diffusées mardi soir du centre de détention de Tadjourah montraient des corps ensanglantés ensevelis sous des gravats. Elles témoignaient également de l’acheminement dans un hôpital local de dizaines de blessés. Ces scènes illustrent le péril humanitaire croissant qui menace Tripoli et ses environs alors que la guerre entre le GAN de Sarraj et l’ANL d’Haftar entre dans une nouvelle phase.
La perte, fin juin, par Haftar de la localité de Gharian, située à 80 km au sud-ouest de Tripoli et où il avait installé son centre de commandement régional, annonce une nouvelle escalade des combats. Les raids aériens lancés mardi soir étaient censés préluder à une contre-offensive de l’ANL d’Haftar sur Tripoli. Les forces du maréchal ont revendiqué par ailleurs un nouveau raid aérien mercredi soir contre le seul aéroport fonctionnel de la capitale libyenne, provoquant la suspension des vols.
Le drame de Tadjourah ne devrait pas manquer de relancer la controverse sur les conséquences de la politique de verrouillage des frontières européennes aux candidats à la migration vers le Vieux Continent. En effet, le refoulement vers le territoire libyen des embarcations de migrants par les gardes-côtes de Tripoli multipliant les interceptions en mer est dénoncé par de nombreuses organisations non gouvernementales, compte tenu des risques encourus par ces migrants.
Sur les six premiers mois de l’année, le nombre d’arrivées de migrants en Italie ou à Malte – la route dite de la « Méditerranée centrale » principalement alimentée par la Libye – a chuté à 3 724 personnes, soit une baisse de 78 % par rapport à la période équivalente de 2018.
Outre les risques de mauvais traitement encourus dans les centres de détention, ces migrants ou réfugiés sont exposés à une dégradation de leur environnement sanitaire. Médecins sans frontières attire l’attention depuis des semaines sur la situation « désastreuse » du centre de détention de Zinten (sud-ouest de Tripoli) où sont concentrés 900 détenus, dont beaucoup sont atteints de tuberculose. Au moins vingt-deux d’entre eux sont morts depuis septembre. Beaucoup sont des Erythréens et des Somaliens considérés comme éligibles au statut de réfugiés par le Haut-Commissariat pour les réfugiés de l’ONU.
Avec Le Monde & AFP