Lors de la « Conférence sur l’énergie en RDC-DRC NRJ6), tenue à l’hôtel Memling, à Kinshasa du 2 au 3 décembre 2022, le président national de la Fédération des Entreprises du Congo (FEC), Albert Yuma a brossé un tableau plutôt exhaustif du secteur énergétique en RDC. Le numéro un des patrons de la RDC, souligne d’une façon substantielle : « Notre pays dispose d’énormes potentialités mais aussi des vraies opportunités dans le secteur. Mais, malheureusement notre bilan en matière d’énergie demeure déficitaire lorsque l’on compare le niveau de production à celui de consommation ». Le discours prononcé à l’ouverture de ces assises par Albert Yuma est apparu comme un document de référence présentant l’état des lieux du secteur énergétique en RDC. A travers son discours, le président national de la FEC décrypte dans tous ses contours ce secteur, en relevant aussi bien les contraintes qui sont un frein pour le développement de la RDC, les améliorations enregistrées au regard de la libération effective du secteur énergétique et son ancrage à travers le pays. Organisée par la FEC, la RDC NRJ est à sa 6ème édition. Activité de grande envergure, DRC-NRJ regroupe annuellement les acteurs du secteur énergétique tous confondus, à savoir ; institutions publiques, opérateurs privés, organisations internationales, institutions financières et société civile. Voici l’intégralité de ce discours
Excellences, Mesdames et Messieurs, Distingués Invités, en vos titres et qualités respectifs,
Je voudrais, avant toutes choses, remercier très sincèrement, au nom du Conseil d’Administration de la Fédération des Entreprises du Congo et au mien propre, vous tous ici présents, plus particulièrement les membres du Gouvernement ainsi que tous les autres invités, venus parfois de l’intérieur du pays, pour avoir répondu à l’invitation de notre Fédération en vue de prendre part à ces assises et ce en dépit de vos multiples occupations. Point n’est besoin de rappeler que votre présence dans ce lieu témoigne non seulement de la considération que vous portez à l’égard de la Fédération des Entreprises du Congo et de ses dirigeants mais aussi et surtout de l’intérêt que vous portez aux thématiques qui seront débattues pendant nos travaux. Je voudrais, également, féliciter le Président de la Commission Nationale Energie de la FEC ainsi que toute son équipe pour avoir maintenu le cap en organisant ce rendez-vous annuel, qui aujourd’hui est en sa sixième édition, j’ai cité la Conférence sur l’énergie, dénommée DRC NRJ. Cette conférence, dont la première édition s’est tenue en 2016, constitue un espace de réflexion et débat dans le but de trouver, de façon concertée entre les différents acteurs intervenant dans le secteur, des solutions appropriées pour lever les contraintes qui pèsent au développement du secteur de l’énergie en République Démocratique du Congo.
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Il y a lieu de noter que la croissance économique que connaît notre pays depuis plus deux décennies, pour qu’elle soit soutenue et durable, il est impératif de réaliser des investissements importants dans le secteur de l’énergie. Et pour ce faire, notre pays dispose d’énormes potentialités mais aussi des vraies opportunités dans le secteur. Mais, malheureusement notre bilan en matière d’énergie demeure déficitaire lorsque l’on compare le niveau de production à celui de consommation. En conséquence, les besoins de consommation économique en énergie électrique actuels et futurs exprimés par les entreprises ne sont pas couverts de manière satisfaisante. Et pourtant, l’énergie est un intrant majeur à toutes productions. Certes, depuis la promulgation, en juin 2014, de la Loi relative au secteur de l’électricité, qui a consacré la libéralisation effective de ce secteur, des avancées ont été réalisées ayant permis d’accélérer les projets privés dont la réalisation permettra de contribuer à la résorption du déficit énergétique dont le pays fait face et qui retarde son processus d’industrialisation, de la diversification de son économie, bref de son développement économique durable.
Parmi ces avancées, nous pouvons notamment citer :
• La mise en place, en 2018, de l’Autorité de régulation du secteur de l’électricité (ARE) et de l’Agence nationale de l’électrification et des services énergétiques en milieux rural et périurbain (ANSER) ainsi que la nomination de leurs animateurs intervenue en 2020 ;
Malgré le retard enregistré pour rendre opérationnel ces deux institutions (4 ans pour leur création après la promulgation de la Loi et 6 ans pour la nomination de leurs animateurs), à ce jour nous pouvons nous réjouir de l’existence et du fonctionnement de l’ARE et de l’ANSER ;
J’encourage également le régulateur de bien vouloir prendre en charge et traiter les dossiers qui ont été initiés par les opérateurs avant la nomination de leurs animateurs.
• L’accompagnement par le Gouvernement dans l’avancement des projets énergétiques à l’instar de KIPAY SOMBWE sur la rivière LUFIRA qui a été validé au cours de la 59ème réunion du Conseil des Ministres tenue le 24 juin 2022, TEMBO POWER sur la rivière Kakule dans la zone de LUBUDI ou GREAT LAKE ENERGY sur le Fleuve Congo à KINSUKA et tant d’autres ;
• Le développement des projets privés dans le secteur de l’énergie qui transportent et fournissent de l’électricité à plusieurs ménages et aux entreprises par leurs propres réseaux isolés. C’est le cas de SOCODEE, Virunga Energies, NURU, Energie du Nord Kivu, etc. ; • La modification et l’assouplissement du contrat type de concession ;
• La réhabilitation et la construction de certaines centrales hydroélectriques grâce au partenariat public-privé entre la SNEL et les entreprises minières ;
• Le relèvement des tarifs de la Société Nationale d’Electricité (SNEL) pour conformer l’exploitation de cette entreprise publique à la réalité économique. Ces nouveaux tarifs de la SNEL permettent aussi l’épanouissement des projets privés qui, jadis, étaient butés à la faiblesse de la tarification ;
• Le travail amorcé sur l’allégement des taxes dans le secteur notamment avec la révision de l’Arrêté interministériel du 15 août 2020 portant fixation des taux des droits, taxes et redevances à percevoir à l’initiative du Ministère des Ressources Hydrauliques et Electricité.
Excellences ; Mesdames, Messieurs,
La fracture énergétique que connait notre pays est le résultat du retard accumulé dans le temps du fait de l’absence de la construction de nouvelles unités de production de l’électricité ainsi que du manque d’entretien et de réhabilitation des infrastructures existantes. A titre historique, pour le réseau Ouest (Kinshasa – Kongo central), il s’est écoulé pratiquement 35 ans entre la mise en service du dernier groupe de la centrale hydroélectrique d’INGA II en 1982 et la mise en service du premier groupe de la centrale de ZONGO II en 2017. Pour le réseau Sud, connu sous le vocable INGA – SHABA, 66 ans s’étaient écoulés entre la mise en service de la centrale hydroélectrique de NSEKE en 1955 et la mise en service de la centrale hydroélectrique de BUSANGA en 2021. Tenez, pour le seul secteur minier de la partie Sud-Est du pays, le déficit en énergie électrique est estimé à 1 000 MW.
Ce déficit augmente pour atteindre plus de 1 200 MW lorsqu’on intègre l’extension des projets tels que KAMOA KAKULA qui sera une deuxième mine de production du cuivre au monde, les mines situées autour de KISANFU et les autres projets qui sont développés dans la partie Nord et Est du pays. Lorsqu’on ajoute les ambitions contenues dans le Plan Directeur d’Industrialisation, l’on remarque que les besoins en énergie électrique sont énormes, le déficit en fourniture électrique va se creuser davantage et la nécessite d’avoir une offre suffisante en termes de production locale d’électricité va de plus en plus se manifester pour ne pas limiter le développement du pays et l’exposer aux menaces liées à dépendance énergétique envers les pays voisins notamment la Zambie, l’Angola ou le Congo Brazza Ville auprès de qui l’importation en électricité est faite.
En effet, ces pays limitrophes développent et accroissent très rapidement leurs capacités énergétiques en fonction de nos besoins en RDC. Si nous n’y prenons pas garde, nous ne serons plus en mesure de développer nos propres potentialités à l’instar du grand INGA et nous resterons des importateurs nets de l’énergie électrique et partant, notre économie sera à la merci des autres.
Mesdames, Messieurs,
A la suite de libéralisation du secteur de l’électricité intervenue en 2014, les opérateurs économiques privés développent des projets énergétiques pour combler le gap, en trouvant, avec l’accompagnement du Gouvernement, des solutions pour la construction de nouvelles centrales hydroélectriques, en réhabilitant les centrales existantes et des réseaux électriques associés et en recourant à l’importation de l’électricité pour maintenir le cycle de production des sociétés minières.
Des partenariats public-privé ont été signés notamment entre la SNEL et la société IVANHOE MINES qui ont permis de réhabiliter la centrale hydroélectrique de MWADINGUSHA d’une capacité de 81 MW, achevée en 2020, et que nous avons eu l’occasion de visiter lors de la 5ème édition de la Conférence sur l’énergie qui s’est tenue à Lubumbashi en septembre 2021. Un autre partenariat conclu entre la SNEL et la SICOMINES a permis de construire la centrale hydroélectrique de BUSANGA d’une capacité de 240 MW, achevée en 2021.
Il en est de même pour la réhabilitation de certains groupes de la centrale hydroélectrique de INGA comme le cas de G25 dont les travaux sont en exécution avec le partenariat de KAMOA. D’autres projets énergétiques sont en cours de développement à l’instar de KIPAY SOMBWE sur la rivière LUFIRA dans la Province du Haut-Katanga pour une capacité de production de 166 MW en hydroélectricité et 46 MW en énergie solaire. Les premiers 2,5 MW et un stockage de 1,8 MW seront livrés en janvier 2023 pour ce projet KIPAY SOMBWE.
Il y a également le projet TEMBO POWER développé sur la rivière Kakule au Lualaba pour une capacité de production de 70 MW en hydroélectricité et 50 MW en solaire et le projet GREAT LAKES ENERGY pour une capacité de production totale de 900 MW en hydroélectricité avec une production initiale de 300 MW sur le Fleuve Congo à KINSUKA dans la Ville de Kinshasa ainsi que la centrale à gaz de Moanda au Kongo central d’une capacité de 250 MW.
La société PERENCO REP produit actuellement 20 MW qui desservent les populations de Moanda et de Kitona en électricité avec son propre réseau. Le cumul de ces projets privés permettra de croitre notre offre en énergie de plus de 1 700 MW d’ici 2025 – 2030. Ce qui va contribuer à la couverture des besoins énergétiques des ménages et ceux de l’économie nationale (sociétés minières et industriels locaux) dans le processus de transformation de nos ressources. Les investissements de ces différents projets se chiffrent à plus de 2 milliards 500 millions de dollars américains, montants injectés dans l’économie nationale au cours de dix dernières années permettant de créer plusieurs emplois directs et indirects et de faire sortir de milliers de nos populations dans l’obscurité.
Mesdames, Messieurs,
Le secteur de l’énergie reste également confronté à certaines pesanteurs qui retardent son développement. C’est le cas du climat des affaires qui demeure préoccupant pour les opérateurs privés avec notamment la perception des taxes redondantes et à des taux prohibitifs ainsi que les missions de contrôles intempestifs initiés par certains services de l’Etat dont pour la plupart, les raisons sont injustifiées. Cette lourde fiscalité accroit les coûts des facteurs de production des opérateurs du secteur et ne permet pas l’accessibilité de l’énergie électrique à la population aux tarifs qui sont compatibles avec le pouvoir d’achat et la réalité économique.
Ces paiements comprennent les impôts, taxes, redevances, contributions, cotisations, frais, permis qui sont perçus par le Pouvoir central, les Provinces et les Entités Territoriales Décentralisées sans aucune lisibilité ni prévisibilité.
Pour rendre le secteur de l’énergie plus attractif et améliorer le climat des affaires, les éléments suivants devraient constituer une priorité à la fois pour les pouvoirs publics et les autres parties prenantes :
• Accélérer le déploiement et l’opérationnalisation de l’ARE et ANSER au niveau des Provinces ;
• Renouveler le Décret n° 18/054 du 27 décembre 2018 fixant les dispositions pratiques portant mesures d’allègements fiscaux et douaniers applicables à la production, à l’importation et l’exportation de l’énergie électrique, qui expire le 26 décembre 2022.
Pour ce faire, la FEC sollicite l’implication de Son Excellence Monsieur le Premier Ministre et Monsieur le Ministre des Ressources Hydrauliques et Electricité pour le renouvellement de cette mesure incitative ainsi que la signature de l’Arrêté pour sa mise en application en tenant compte des faiblesses y contenues et des propositions que nous avons formulées.
Bien plus, il y a nécessité de prendre en compte dans le bénéfice des exonérations des droits d’entrée et de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) l’importation et la production locale de l’électricité ainsi que les équipements et kits solaires utilisés pour les usages domestiques et de production locale ;
• Lutter contre les vandalismes et vols des câbles électriques ainsi que les sabotages des projets privés. A ce sujet, l’exemple macabre est le bombardement par les terroristes du M23 de la centrale de LUVIRO 1 situé dans le parc de Virunga ;
• Assurer la stabilité de l’énergie fournie au consommateur final et la bonne qualité du réseau électrique ;
• Encourager les partenariats sur les contrats d’achat d’énergie entre les producteurs locaux et les grands consommateurs d’énergie principalement avec les sociétés minières et industriels locaux. En effet, pour que le projet grand INGA décolle ainsi que les projets des nationaux, les sociétés minières et autres industries locales devront signer des PPA avec les opérateurs du secteur ;
• Supprimer le mécanisme de publicité des appels d’offres pour les projets d’initiative privée ou projets à manifestation spontanée.
En effet, l’article 45 de la Loi sur le partenariat public-privé soumet au candidat qui développe un projet d’offre spontanée de le soumettre à l’Autorité contractante afin de participer à la concurrence avec les autres candidats. En dépit du fait que la Loi ait prévu une certaine compensation des frais engagés, dont les modalités pratiques ne sont pas claires, la cohérence économique et financière montre que cette démarche est de nature à décourager les investissements dans le secteur, et compte tenu des zones très isolées et désenclavées de la République, et que certains éléments du montage du projet ne peuvent faire l’objet de compensation notamment le temps et les négociations avec les financiers et les autres partenaires du projet.
• Renforcer la participation des scientifiques et chercheurs dans la recherche des solutions du secteur et améliorer l’accompagnement des acteurs de la société civile au développement des projets privés.
Mesdames, Messieurs,
Le modèle économique développé en RDC par les opérateurs privés du secteur de l’énergie intègre les exigences environnementales dans les études d’impact social et environnemental qui sont réalisées. Ces études, réalisées par les cabinets de bonne renommée et agréés par l’Agence Congolaise de l’Environnement (ACE), captent les risques des projets sur la biodiversité et les communautés riveraines et dégagent les stratégies de leur mitigation dans leur mise en œuvre tout en prévoyant le développement des activités économiques de la population locale située dans les zones d’exploitation.
Les projets apportent également un développement dans les zones d’implantation dans le volet de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) avec la fourniture du courant électrique aux ménages pour l’usage domestique et l’émergence des initiatives entrepreneuriales locales, la construction et la réhabilitation des routes et ponts, la construction des écoles, des centres de santé, etc. Voilà pourquoi, pour atteindre les objectifs assignés par le pays d’accroître le taux de desserte en énergie électrique, les projets privés ont besoin d’un accompagnement réel et constant des autorités gouvernementales, des régulateurs et de tous les autres acteurs qui interviennent pour le développement du secteur de l’électricité.
Il en est de même pour l’atteinte de l’agenda mondial 2030 des Objectifs de Développement Durable (ODD), plus spécifiquement l’ODD 7 sur l’accès universel à l’énergie propre et durable. Pour y arriver, l’organisation de ces assises constitue une solution parce qu’il s’agit de mettre autour de la table les principaux acteurs du secteur en vue de discuter et réfléchir sur les solutions possibles pour le développement du secteur de l’énergie.
Mesdames, Messieurs,
Je reste convaincu qu’à l’issue des échanges et discussions qui découleront de cette table ronde, une feuille de route déclinée sur le court et moyen termes sera élaborée, qui permettra à la production locale de l’électricité de rencontrer la demande sociale et industrielle qui est exprimée d’une part, et de prendre les actions pour matérialiser l’augmentation de la desserte locale, d’autre part.
Aux côtés du développement des grands projets énergétiques pour les besoins de l’industrie lourde à intensité capitalistique élevée, le recours aux nouvelles sources énergétiques innovantes avec le Cobalt et le Lithium, au mix énergétique et à l’exploitation de mini et pico centrales hydroélectriques et solaires ainsi le développement des centrales à gaz à courte durée de maturité, constituent une solution à court et moyen termes au regard des potentiels que la RDC regorge en cette manière matière.
Dans cette perceptive, et pour réduire la pression des communautés locales sur les forêts, la recherche scientifique axée sur la transition énergétique et la pratique pour la cuisson propre notamment avec l’usage des foyers améliorés et du Gaz Pétrole Liquéfié (GPL) qui constitue un marché émergent, contribuent à la lutte contre les effets du changement climatique. Par ailleurs, la mise en œuvre du Programme de développement de 145 territoires (PDL 145T) en cours d’implémentation sur tout le territoire national devrait s’appuyer sur les opérateurs privés locaux pour réaliser les différents projets énergétiques qui y sont contenus.
Ainsi, je demande au Président de la Commission Nationale Energie de renforcer la collaboration avec les autres acteurs qui évoluent dans le secteur des énergies renouvelables notamment ceux qui exploitent les énergies photovoltaïques et développent des petits projets en mini ou hors réseaux électriques, d’intégrer notre corporation pour une prise en charge efficiente de leurs préoccupations et un accompagnement dans le développement de leurs activités pour le bien-être général.
Excellences, Mesdames, Messieurs, Distingués Invités,
Pour terminer, je réitère mes remerciements à l’endroit de tous les participants et je vous souhaite pleins succès pour les travaux de cette 6ème édition de la Conférence sur l’énergie en RDC (DRC NRJ6).
Je vous remercie.
Fait à Kinshasa, le 2 décembre 2022