Le Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya, archevêque émérite de Kinshasa a rappelé lors d’une conférence le 25 février 2019 à Bruxelles, en Belgique, cette conviction de la CENCO. De passage à Rome, Mgr Marcel Utembi Tapa, archevêque de Kisangani et Président de la Conférence épiscopale nationale du Congo, au micro de Radio Vatican, a voulu, lui aussi, expliciter la position des évêques congolais, afin d’éviter toute ambiguïté. Car, quoi que l’on dise, les prélats congolais restent cohérents avec eux-mêmes. Plusieurs points abordés dans cet entretien.
Mgr Utembi, de prime abord, estime que l’Eglise qui est en République démocratique du Congo se porte bien et qu’elle continue à prêcher la Parole de Dieu, à célébrer les sacrements et à organiser le peuple de Dieu. Mais face aux flèches et aux critiques reçues après la position de la CENCO, après la proclamation des résultats des élections, l’archevêque de Kisangani estime que ces attaques contre les responsables de l’Eglise sont tout à fait normales. « L’Eglise a joué un rôle tellement précieux, tellement important dans le processus électoral que ceux qui ne voulaient pas que les choses aillent comme l’Eglise l’a souhaité, se sont retournés contre elle », soutient le président de la CENCO.
En 2006, les évêques ont contesté les résultats des élections, celle de la présidence surtout. En 2011, les évêques ont estimé que les résultats n’étaient pas conformes à la justice et à la vérité. Et en 2018, des évêques ont réclamé la vérité des urnes. Cela veut dire, Monseigneur, qu’aux élections prochaines qui pourront avoir lieu en 2023, vous réclamerez aussi la vérité des urnes ? Allez-vous contester les résultats s’ils ne sont pas conformes à la vérité ou bien vous allez vous taire ?
L’organisation des élections c’est une question de société. L’Eglise est au service de la société pour communiquer les valeurs, pour communiquer la volonté de Dieu. En tant que telle, un processus électoral ne peut qu’intéresser les évêques de la République démocratique du Congo, comme cela a été le cas en 2006, en 2011 et tout dernièrement en 2018. Nous nous sommes engagés à accompagner le peuple congolais à travers l’éducation civique et électorale. Nous avons voulu qu’au bout de ce processus électoral, la volonté du peuple exprimée dans les urnes soit respectée. Malheureusement, force est de constater qu’en 2006, 2011 et aussi, je dois le dire fermement, en 2018 les choses ne se sont pas passées comme le peuple l’attendait. C’est une question de conscience. C’est une question de justice. Quand la justice est déstabilisée et remise en question quelque part, l’Eglise qui est appelée à défendre les valeurs, à défendre la moralité et l’éthique dans le comportement social, – cette Eglise – ne pourra jamais se taire hier, aujourd’hui et demain.
C’est-à-dire qu’aussi longtemps qu’il n’y aura pas de justice et de vérité des urnes, les évêques vont parler ?
Cela s’inscrit dans le cadre de notre mission prophétique. Les prophètes dénoncent des antivaleurs, ils encouragent ce qui va bien et prévient de ce qui pourrait remettre en question l’harmonie dans la société.
Cela ne vous décourage pas quand on dit par exemple que les évêques de la République démocratique du Congo divisent les gens ? Il y a ceux qui déclarent que les évêques disent la vérité et d’autres qui estiment que les évêques exagèrent, leur vérité n’est pas l’unique vérité.
Nous pensons que la vérité est immuable. C’est une valeur immuable hier, aujourd’hui et demain. La vérité sera toujours vérité, comme le bien reste bien ; le mal reste mal, quand bien même il y a ceux qui s’évertuent à le commettre. Mais nous pensons que cette vérité qui est immuable, sera toujours notre lumière. Elle va nous éclairer dans notre comportement et même dans notre prise de position. Quand elle est déstabilisée, quand elle est remise en question par un camp contre un autre, l’Eglise ne cessera jamais de clamer haut et fort que la vérité reste la vérité.
Monseigneur, concernant les critiques, je veux bien comprendre qu’elles ne découragent pas les évêques. Mais le comportement des politiciens qui vivent dans des mesquineries, selon ce qu’on peut lire dans les médias et selon ce qui se fait dans votre pays, cela ne vous décourage pas ?
Il est un fait, que la plupart des politiciens (congolais) sont des chrétiens. Et nous, comme pasteurs, nous sommes peinés de voir que des gens à qui nous avons insufflé des valeurs chrétiennes, des valeurs morales, ne puissent pas en vivre, ne puissent pas en témoigner dans leur environnement familial, surtout dans leur environnement social. Nous le déplorons. Evidemment, là où il y a des hommes, il y a toujours des hommeries et les antivaleurs vont continuer à faire leur chemin…
En rapport avec les élections, avec les résultats surtout, est-ce que la Conférence épiscopale de la République démocratique du Congo est unie, ou il y aurait-il des dissensions entre les évêques ?
Nous avons pris une position ferme, position du Comité permanent de la CENCO, au lendemain de la publication des résultats du scrutin présidentiel et de la législative provinciale, plus précisément le 11 janvier 2019. Cela a reflété la position commune. Il y en a qui exploitent par exemple la position prise par l’assemblée épiscopale provinciale de Kananga, comme ayant remis en question l’unité des évêques. Il n’en est pas le cas. C’est le lieu de dire haut et fort : les évêques de la province ecclésiastique de Kananga, ont dans leur déclaration, cité nommément la prise de position de la CENCO, au regard des résultats produits par notre mission d’observation. Nous avons insisté surtout sur le fait que nous, comme évêques, avons dit que, même si les résultats publiés par la CENI étaient différents des données mises à notre disposition par la Mission d’observation électorale, nous prenons tout de même acte du résultat qui a été rendu public de manière provisoire, par le président de la CENI, résultat qui est aujourd’hui confirmé par la Cour constitutionnelle.
Justement, Monseigneur, maintenant que la Cour constitutionnelle de votre pays a proclamé un président élu, quelle est la position claire de la Conférence épiscopale nationale du Congo, la position des évêques à ce sujet?
Devant cette réalité, il y a trois considérations à faire : la considération d’ordre éthique, la considération d’ordre légal et la considération d’ordre pratique, je dirais même pragmatique. Sur le plan éthique, le bien reste bien et doit être annoncé. Le mal reste mal, le mensonge reste mensonge, la contre vérité reste contre vérité. La prise de position de la CENCO à l’issue de la mission d’observation électorale, prise de position selon laquelle les résultats proclamés par la CENI différaient des nôtres, sur le plan éthique, nous avons la certitude morale que notre position rendue publique reste. L’Eglise doit défendre à tout prix les valeurs éthiques, les valeurs morales.
Vous voulez être cohérents avec vous-même !
Nous sommes cohérents avec nous-mêmes jusqu’au bout. Et ceux qui pensent que nous avons émis des données mensongères, qu’ils puissent les remettre en question, qu’ils nous prouvent le contraire avec des faits observables, avec des faits objectifs.
Voulez-vous dire par-là que la Commission électorale indépendante devait publier par exemple des résultats avec des procès-verbaux de chaque circonscription, comme le prévoit la loi électorale ?
Exactement. Pour permettre aux uns et aux autres qui sont intéressés, comme le prévoit la loi électorale, de pouvoir vérifier les données, pour lever les doutes.
C’est la première approche. La deuxième approche est d’ordre légal. Nous sommes des citoyens congolais, au même titre que les autres fils et filles de la République démocratique du Congo. Nous respectons les institutions prévues par la Constitution, et pour le cas d’espèce, nous avons la Cour constitutionnelle qui s’est prononcée à sa manière. Je ne voudrais pas entrer dans les détails, du moment que la Cour constitutionnelle a arrêté un verdict. Nous ne pouvons que nous plier bon gré mal gré, comme des loyalistes et nous devons le faire. La Cour constitutionnelle a confirmé les résultats du scrutin présidentiel, que pouvons-nous faire ? Nous nous plions devant ce verdict.
Troisième approche, c’est la considération pragmatique. Du moment que la Cour constitutionnelle a statué sur la situation de manière péremptoire, la République démocratique du Congo a un président, en la personne de Monsieur Félix Antoine Tshisekedi. S’il est proclamé président, il est président de tous les Congolais. Nous les évêques nous sommes aussi les congolais.
Etes-vous prêts à accompagner le nouveau président de vos conseils, en lui rappelant ses devoirs ?
Comme toujours. L’Eglise va jouer son rôle de mère et éducatrice, Mater et Magistra. Nous allons jouer pleinement ce rôle en accompagnant les institutions avec les moyens à notre disposition, en accompagnant le peuple congolais dans l’atteinte de ses aspirations les plus nobles.
Qu’envisagez-vous pour le futur ? Pouvez-vous, par exemple du point de vue des élections, essayer de faire en sorte que la Commission électorale nationale indépendante soit plus juste, qu’elle fonctionne pour que le vote du peuple puisse simplement être proclamé ? Et puis aussi, que la Cour constitutionnelle puisse rendre justice selon les lois du pays… Des gens estiment que c’était plutôt une justice pour un camp.
Nous allons poursuivre l’éducation civique et électorale du peuple congolais parce que les élections qui se sont passées ne constituent pas une fin en soi. C’est une dynamique. Il y a bien d’autres phases d’élections qui seront organisées tel que le prévoit le calendrier dicté par la CENI. Même après cette phase, le Congo aura besoin de renouveler les mandats de ses gouvernants. Alors, dans cet esprit, dans cette logique, l’Eglise, comme par le passé, continuera à assurer l’éducation civique et électorale du peuple congolais. Par rapport aux animateurs des institutions, nous ne cesserons pas de jouer pleinement notre rôle comme des prophètes. Nous ne ferons pas que dénoncer le mal, il faudra que nous puissions développer une pastorale de proximité qui nous permette d’entrer en contact avec nos fils et filles qui sont engagés dans ces institutions comme des animateurs pour qu’ils puissent témoigner de leur foi dans le social, qu’ils puissent témoigner de leur foi dans le temporel et dans le politique et c’est très important. Je crois que cette pastorale de proximité devra être promue davantage dans les jours à venir de manière à inviter nos frères et sœurs qui sont engagés dans ce secteur, dans la gestion de la chose publique de se comporter en vrais croyants, en vrais disciples de Jésus-Christ. Et ça c’est très important. Qu’il y ait plus de justice, plus de vérité, plus de bien-être.
Que pensez-vous de ceux qui disent que malgré tout ce qui est arrivé en République démocratique du Congo, il y a quand même un petit progrès pour la démocratie, puisque c’est pour la première fois qu’il y a alternance. Dans d’autres pays africains, les chefs d’Etat changent la Constitution et restent au pouvoir alors qu’en République démocratique du Congo, malgré tout, il y a alternance. C’est qu’il y a un petit pas en avant ?
Ils ont raison. Je crois que ce qui est affirmé par rapport à ce que vit le peuple congolais aujourd’hui, en ce qui concerne la prise en charge de sa destinée, la prise en charge de son pays, c’est quelque chose de vrai. Nous avons vu autour de ce processus électoral l’engouement du peuple congolais qui a voulu aller aux élections. Quand bien même certaines contingences ne leur ont pas permis d’exercer pleinement leurs droits civiques. Nous avons vu aussi que le peuple congolais est arrivé à plusieurs reprises à se mettre debout quand il fallait dénoncer quelque chose qui n’allait pas, à travers les marches pacifiques, sans faire de casses sans faire de violence. Nous pouvons faire mention des manifestations pacifiques organisées par le Comité Laïc de Coordination qui, du côté des manifestants, n’ont pas provoqué de tension. Ce sont au contraire les manifestants qui étaient victimes d’agressions extérieures des agents de l’ordre. Nous pensons qu’il y a bien des choses qui ont évolué. Il n’était pas évident que ces élections soient organisées, mais grâce à la pression pacifique du peuple congolais, on y est arrivé. Le peuple voulait le changement d’une manière ou d’une autre, et ce changement a été obtenu au terme de ce processus électoral. Et je voudrais profiter de cette occasion si vous me permettrez…
Justement un mot de la fin comme signe d’espoir pour votre pays
Je commence par féliciter le peuple congolais qui a su s’assumer pleinement devant ses gouvernants. Ce peuple a voulu qu’il y ait un changement de manière formelle, le peuple a voté pour que le changement devienne une réalité. Je tiens aussi à féliciter notre commission Justice et Paix (de la CENCO) qui, à travers la mission d’observation électorale, a accompagné le processus électoral avec professionnalisme, et nous avons eu des experts qui ont fait un travail de qualité. Ce travail a été apprécié non seulement par les Congolais, mais aussi par nos partenaires, les amis du Congo, je veux dire : la communauté internationale au niveau de l’Afrique, et au niveau de l’Occident en général.
Je voudrais aussi saisir cette occasion pour encourager, fraternellement, mes confrères dans l’épiscopat pour ce travail de cohésion ; travail d’unité qui a permis que nous puissions accompagner le peuple congolais sans heurts sur le processus.
Par Jean-Pierre Bodjoko, SJ – Cité du Vatican