« Qui tue un journaliste, fait taire toute une nation ». Serge Maheshe, Marcel Lubala, Bapuwa Mwamba, Patient Chebeya, Joel Musavuli, Franck Ngyke Kangundu pour ne citer que ceux-là, ont quitté ce monde pour avoir été journaliste. Aujourd’hui, les voix s’élèvent pour réclamer justice et demander la reconnaissance de ces illustres journalistes en tant que « Martyrs de la presse ». Lorris Umba, enseignant en Belgique et auteur des plusieurs livres sur l’éducation fait ici, un focus pour ce journaliste, Franck Ngyke Kandungu tué sauvagement en RDC, il y a 18 ans avec sa femme devant leurs enfants.
Chaque 3 mai, l’humanité célèbre la journée mondiale de la liberté de la presse. L’appellation est bien choisie et mieux contrôlée. Ce n’est pas pour la liberté de la presse, qui donnerait l’idée d’un effort, d’une lutte en vue d’obtenir cette liberté ; mais de la liberté, qui présuppose que cette liberté est (déjà) acquise à la base.
Il est vrai que cette notion de liberté est parfois galvaudée, chacun y collant le sens qu’il entend et comprend. Le sens ici est perçu comme signification et direction. Nous célébrons donc, la journée mondiale de la signification et de la direction de la presse. Où va-t-elle, que fait-elle, à quoi sert-elle ?
Cette année, en République Démocratique du Congo, une rencontre a eu lieu entre les journalistes et le président de la République, question de célébrer cet organe essentiel et existentiel pour la vie de la nation. Durant leur échange, l’accent a été mis sur le présent et l’avenir. Comment penser le présent et bâtir l’avenir sans recourir au passé ? Comment célébrer le présent sans sanctifier le passé ?
Le passé, ce n’est pas seulement ce qui était hier ; mais surtout ce qui continue aujourd’hui. Dans ce contexte, il est urgent que les acteurs de la presse soient considérés comme les maillons d’une chaine. Cette chaîne ininterrompue qui se comprend comme moteur et indicateur de la température d’une nation.
Parmi les journalistes qui ont allumé et tenu vive la chaumière de cet organe, il y a, pour ne pas tous les citer, Monsieur Franck Kangundu, sauvagement abattu avec sa femme sous les regards de leurs enfants, voilà dix-huit ans.
Ce journaliste chevronné, passionné de la plume, a été évincé de cet organe par la porte la plus effroyable qu’est la mort. Qui tue un journaliste, fait taire toute une nation. C’est une réalité, plutôt une vérité car c’est le journaliste qui est la voix qui montre la voie à suivre. Il est l’auteur de notre histoire et le rédacteur de notre avenir.
Franck a su être cette partie essentielle de notre mémoire à travers l’information qu’il donnait, en toute objectivité et sincérité. Des hommes et des femmes journalistes comme lui, notre nation en a connu.
Beaucoup sont partis dans la paix, laissant derrière eux des souvenirs mémorables que la corporation suit comme modèle ; d’autres, par contre, ont été contraints à partir, parce qu’ils avaient dit une parole de moins, avaient écrit un mot de trop. Dans tous les cas, la mise à mort de monsieur Franck Kangundu a montré que la presse est importante.
Avec cette célébration de la journée mondiale de la liberté de la presse, c’est l’occasion de faire de ces journalistes, connus comme anonymes, des hommes de notre mémoire. La nation a le devoir moral et spirituel de faire d’eux des personnes auxquelles nous devons notre histoire.
Ils doivent passer des hommes culturels aux hommes cultuels et donc être célébrés. Ils sont nos modèles à imiter face à des nombreux modèles à éviter dont la nation dispose et auxquels, parfois, l’on a rendu hommage simplement parce qu’appartenant à une corporation.
Qui tue un journaliste, éteint la lumière de toute une nation. La presse c’est le code de déverrouillage d’une nation. C’est par la presse que naît, grandit et vit une nation.
La presse a la force de vanter le passé mais aussi la dextérité d’inventer l’à venir. C’est la clé de nos chansons, la clef de notre avenir. Elle surveille notre présent, elle veille sur notre à venir.
Il est temps de conjuguer les efforts de tous pour que jamais ne soit oublié un seul des filles et fils de ce pays qui a écrit, même en une phrase, la beauté de l’histoire de notre pays.
Ils ont été nos modèles ; par leur mort, ils sont devenus nos martyrs, faisons d’eux nos héros. Tous, nous avons le devoir de mémoire de ne jamais les oublier. Le sacrifice suprême de Monsieur Franck Kangundu doit nous interpeller tous. C’est un effort à fournir.
Il faut, en effet, agir ensemble pour que sa mort, comme celle de tous les autres, ne soit pas vaine. Il nous faut rassembler nos forces pour les honorer de peur qu’en divergeant le remède, on ne rende incurable un mal déjà avancé (Pape Léon XIII). Ce mal c’est l’oubli. Travaillons ensemble pour la reconnaissance de ces martyrs de la presse congolaise.
En effet, chaque nation a ses héros et ses martyrs. Ils sont la référence pour le présent et des modèles pour l’à venir. Et les héros et martyrs ne sont pas seulement gravés dans la mémoire collective. Ils ont des autels et des stèles qui rappellent qu’ils ne sont pas tombés pour rien, plutôt ils n’ont pas vécu pour rien.
Il n’y a donc pas d’à venir sans souvenir. Nous devons nous mettre dans l’école de la mémoire : souviens-toi, rappelle-toi, n’oublie pas. La presse doit presser sur le bouton de la reconnaissance. La presse d’hier et celle d’aujourd’hui ont besoin de cette liberté.
Elle est fondée sur les efforts de tous. Que le génie de l’un et l’énergie de l’autre soient mis ensemble pour que Franck Kangundu et les autres, soient réellement perçus et reçus comme de vrais martyrs de la liberté de la presse. Leur attribuer un lieu, une place pour les célébrer, voilà un premier pas vers une liberté devenue réalité, plutôt vérité.
Lorris Umba (Bruxelles)