Pour avoir délibérément trié les responsables, et s’être focalisé, pour de mauvaises raisons, sur la seule personne de Jean-Pierre Bemba, le bureau de la procureure de la CPI se retrouve avec un crime, des victimes, mais pas de responsables, encore moins de coupables pour les assumer.
Explosion de joie à Kinshasa, tristesse et désarroi à Bangui. D’abord, comment comprendre ce revirement spectaculaire, et comment expliquer que l’acquittement de Jean-Pierre Bemba suscite des réactions aussi contrastées, selon que l’on est en Centrafrique ou en République démocratique du Congo ?
Face à la décision de la Chambre d’appel, on est bien obligé de convenir que les accusations retenues en première instance contre Jean-Pierre Bemba avaient été initiées dans une relative précipitation, et sur la base de calculs peut-être politiciens, à courte vue, exactement ce que les Africains reprochent si souvent à la CPI et à sa procureure. Avec cette propension à ne s’en prendre qu’au plus faible, ou, en tout cas, au moins puissant. Jean-Pierre Bemba, dans ce dossier, était un pourvoyeur de main d’œuvre, des miliciens, pour ne pas dire des mercenaires. Des troupes hétéroclites, sans éducation ni formation militaire convaincante, bref, sans aucune référence sérieuse qui eût pu justifier qu’un Etat, ou chef d’Etat, même en déroute, leur fasse confiance. C’est dire qu’il y avait donc aussi un commanditaire, qui se trouvait être Ange-Félix Patassé, chef de l’Etat centrafricain, au moment des faits.
Etait-ce si étonnant que cela, dans cette partie de l’Afrique ?
Vous avez raison : dans cette partie de l’Afrique centrale et de la région des Grands Lacs, l’on s’était habitués, depuis la chute de Mobutu, à ce que des armées plus ou moins régulières, parfois constituées de vrais gangsters, passent d’une frontière à une autre, pour aller aider tel chef de guerre à prendre le pouvoir, ou tel chef d’Etat à le conserver. Peut-être même certaines de ces troupes n’étaient-elles pas payées, et devaient se servir sur le dos de la bête, ce qu’elles font d’ailleurs très bien.
Mais, lorsqu’un chef d’Etat fait appel à des mercenaires, n’est-ce pas d’abord à lui de répondre des éventuelles exactions des soldats de fortune qu’il sollicite ? A posteriori, cela apparaît comme tellement évident, et c’est ce qui s’entraperçoit dans la décision à laquelle semble être parvenue la Chambre d’appel, mais après dix ans de procédure. Et maintenant que Jean-Pierre Bemba est acquitté, les victimes centrafricaines auraient bien aimé avoir quelque personne vers laquelle se tourner. Patassé était le mieux indiqué pour cela. Mais il a pu, huit années durant, vaquer librement à ses occupations de chef d’Etat déchu, sans n’avoir jamais été inquiété. A présent, il est dedans sa tombe, trop heureux d’avoir pu échapper à d’aussi lourdes responsabilités.
Le plus dur est qu’il y a un crime et des victimes, mais, hélas !, pas de responsable à interpeler ou à juger. A moins de s’en prendre à l’Etat, ce qui serait une manière de rappeler aux dirigeants actuels ou futurs qu’il existe aussi une responsabilité de la fonction. En somme, les fautes ou actes imputables à un chef d’Etat devraient encore être opposables à ses successeurs.
Que fait-on, face à la grande consternation de la population, qu’évoque le porte-parole du gouvernement centrafricain ?
Les faits sont suffisamment graves pour que l’on n’y rajoute pas d’inutiles surenchères. Comment fait-on accepter aux victimes centrafricaines le fait d’avoir totalement oublié le chef de l’Etat centrafricain qui, le premier, a sollicité Bemba et ses miliciens qui se sont avérés de dangereux violeurs ? Un chef d’Etat qui s’en va chercher des mercenaires pour mâter son propre peuple commet un crime imprescriptible, en plus d’être responsable des exactions que peuvent commettre sur le terrain ces soldats de fortune. C’est vraiment comme si l’on avait trompé ces dames, en les poussant à exiger davantage de ces « Banyamulenge », que de leurs propres dirigeants qui ont invité ces voyous. Il y avait une telle envie, un tel besoin, pour la CPI, d’épingler un gros poisson soi-disant, d’afficher un semblant de victoire. Sauf que l’on ne pouvait pas, comme ils l’ont fait, arrêter Jean-Pierre Bemba, tout en laissant Ange-Félix Patassé vaquer, huit années durant, à ses occupations de chef d’Etat déchu, jusqu’à mourir, libre, de sa belle mort.
Cette histoire rappelle étrangement celle du Libérien Charles Taylor, condamné à un demi-siècle de prison, pour avoir soutenu la rébellion en Sierra Leone, un Etat voisin du sien, alors que le Tribunal spécial pour la Sierra Leone n’est pas parvenu à juger Fodeh Sankoh, Sam Bockarie, ou un quelconque autre leader de cette rébellion sierra-léonaise.
Par Jean-Baptiste Placca/RFI